L’enquête « Total Birmanie » pour complicité de crime contre l’humanité rouverte en Belgique
"Je veux être le Président de la France des droits de l’Homme. Je ne crois pas à la « realpolitik » qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats."
Nicolas Sarkozy, Discours à Bercy (29/04/07)
02/10/07, Le Soir (Belgique)
L’enquête « Total Birmanie » rouverte
Le parquet fédéral a rouvert l’enquête sur de possibles crimes contre l’humanité commis par le groupe pétrolier Total en Birmanie. Le parquet fédéral décidera d’ici la fin du mois s’il peut y avoir un procès. La justice belge va relancer l’instruction contre le géant pétrolier français Total, accusé depuis 2002 par quatre réfugiés birmans de complicité de crime contre l’humanité en Birmanie lors de la construction d’un gazoduc, a indiqué mardi leur avocat, Me Alexis Deswaef.
Les plaignants accusent la compagnie pétrolière d’avoir utilisé des travailleurs forcés, par l’entremise de la junte au pouvoir. L’instruction de leur plainte contre X pour crimes contre l’humanité, qui vise la junte, va également reprendre, a précisé l’avocat.
Total a fait l’objet de plusieurs plaintes de travailleurs birmans, notamment en France et en Belgique. Si en France, cela a finalement fait l’objet d’un non-lieu, en Belgique, les choses ont tourné à la bataille de procédure, laquelle n’est pas terminée.
La plainte introduite en 2002 par quatre réfugiés birmans avait été jugée recevable en 2005 par la Cour constitutionnelle belge. Mais en mars, la Cour de cassation avait dessaisi la justice belge car les plaignants n’étaient pas Belges.
No comment chez Total
Total ne fait "pas de commentaire", a déclaré une porte-parole, se bornant à indiquer que le groupe avait "noté" la relance de cette instruction.
Total a par ailleurs refusé de commenter les déclarations du ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, qui a assuré sur la radio Europe 1 que le groupe ne serait pas "exonéré" en cas de nouvelles sanctions contre la Birmanie.
Même droit qu’un Belge
Dans un nouvel avis, la Cour constitutionnelle a cependant rappelé qu’au titre des conventions internationales, un réfugié reconnu avait les mêmes droits de justiciable qu’un citoyen belge, et que la loi belge de compétence universelle était donc applicable à Total.
Le ministère de la Justice belge a donc enjoint lundi le Parquet fédéral de relancer la procédure.
Le dossier va être soumis à la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles pour trancher ces questions de procédure, a précisé Me Deswaef pour qui la compagnie pétrolière est clairement complice de la junte dans cette affaire.
Les quatre Birmans reprochent à Total d’avoir apporté dans les années 1990 un soutien logistique et financier à la junte birmane responsable, à leurs yeux, de travail forcé, de déportations, de meurtres, d’exécutions arbitraires et de tortures.
La plainte vise Total, son ancien patron Thierry Desmarest, responsable de l’exploration et de la production à l’époque des faits, ainsi que l’ancien directeur du groupe pétrolier français en Birmanie, Hervé Madeo. Total est présent en Birmanie depuis 1992, sur le gisement de gaz de Yadana (Sud), où il a produit en 2006 17,4 millions de mètres cube de gaz par jour, qui alimentent des centrales électriques en Thaïlande.
Nouveau regard
La répression des manifestations en Birmanie a jeté une nouvelle lumière sur la question des investissements occidentaux dans ce pays et Total a lui-même annoncé le 25 septembre qu’il suivait de très près la situation dans ce pays.
Le 27 septembre, le président français Nicolas Sarkozy a lancé un appel au gel des investissements français en Birmanie, sans aller jusqu’à demander un retrait de Total comme le souhaitent des organisations de défense des Droits de l’Homme.
Le même jour, deux groupes parlementaires néerlandais de gauche, représentant 58 des 150 députés, ont appelé à un boycottage de Total en raison de sa présence en Birmanie.
Lundi, deux socialistes flamands membres du gouvernement fédéral belge, la secrétaire d’État au Développement durable, Els van Weert, et le ministre de l’Environnement Bruno Tobback, ont demandé au Premier ministre Guy Verhofstadt de mettre un terme au contrat qui fait de Total le fournisseur privilégié des administrations belges. En attendant, ils ont annoncé qu’ils n’utiliseraient pas leurs cartes d’essence.
Total, repreneur de la firme pétrolière belge Pétrofina en 1999, a d’importants intérêts en Belgique et l’un de ses grands actionnaires est le financier belge Albert Frère.
D’autre part, la LDH, la FIDH et Info Birmanie ont dans une lettre ouverte rappelé à Total ses engagements au titre du Pacte Mondial de l’ONU.
LETTRE OUVERTE LDH / FIDH / Info Birmanie
Paris, le 27 septembre.
à Monsieur Christophe de Margerie, Président Directeur Général de Total
Total est partenaire du Pacte mondial (Global compact) des Nations Unies. A ce titre, elle s’est engagée à respecter les droits de l’Homme et à en promouvoir le respect dans sa sphère d’influence, ainsi qu’à ne pas se rendre complice de violations des droits de l’Homme.
Selon l’interprétation autorisée du Pacte mondial qu’en fait son bureau, la complicité d’une entreprise peut découler de son silence face à des violations dont elle est le témoin ou qui se déroulent là où elle est présente.
Nous encourageons Total à agir en cohérence avec cet engagement solennel pris dans le cadre des Nations unies. Nous lui demandons de prendre position, de manière publique, contre l’usage de la force à l’encontre des manifestants qui, dans toute la Birmanie, réclament la liberté et la démocratie. Nous lui demandons d’exercer son influence sur la junte birmane pour qu’elle ouvre un dialogue politique avec la Ligue nationale pour la démocratie de Mme Aung San Suu Kyi.
Nous serions heureux de recevoir de votre part des informations sur les intentions de Total.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président Directeur Général, à l’expression de notre considération distinguée.
Mathilde Cousin : Présidente d’Info Birmanie
Souhayr Belhassen : Présidente de la FIDH
Jean-Pierre Dubois : Président de la LDH
| 4 octobre 2007 | Betapolitique
Visiblement, la Belgique a plus de courage que M. Kouchner...