Transports publics : service et qualité minimums

Publié le par webmaster

Des négociations suivies d’un accord entre partenaires sociaux responsabilisent davantage et sont plus efficaces qu’un projet de loi.
 
 
 
Le projet de loi sur le service minimum est une réponse inappropriée au problème de l’extrême sensibilité des usagers à la qualité du transport public. En prenant pour objectif la conséquence de la grève et non sa cause ce projet oublie volontairement que la grève est l’ultime recours pour faire aboutir des revendications qui peuvent participer de l’amélioration de la qualité du transport public. On peut définir cette qualité nécessaire par la régularité, la fréquence, le confort, la fiabilité et la sûreté. Dans une société française où les zones urbaines et péri urbaines se sont étendues, la distance et la durée des déplacements notamment entre le domicile et le travail se sont accrues.
L’investissement dans les réseaux de transport public n’a pas été à la hauteur de l’évolution des besoins de la population, particulièrement pour les déplacements journaliers. La tentation populiste vise à utiliser les conflits sociaux dans le transport comme bouc émissaire pour masquer l’indigence de l’investissement depuis les années 70. Entre 1950 et 1990, la mobilité quotidienne est passée de 10 kilomètres à 40 kilomètres en moyenne par personne. Ces déplacements alimentés par la crise et par l’évolution de l’urbanisme sont devenus plus longs et plus lointains tandis que les investissements dans les infrastructures se sont concentrés sur le réseau autoroutier et les lignes ferroviaires à grande vitesse au détriment des lignes de banlieue et du réseau régional. Le recours à l’automobile pour effectuer ces déplacements a généré pollution et engorgement. L’utilisation intensive des lignes de métros et ferroviaires entraîne dans beaucoup de cas une multiplication des incidents pour les usagers des transports en commun. Le service public de transport n’est pas malade des grèves mais des carences, des dysfonctionnements dus aux politiques de déréglementation et de libéralisation successives appliquées régulièrement par tous les gouvernants. Pourquoi, alors que la conflictualité est en baisse dans les transports (0,7 % des jours travaillés en 2006), l’insatisfaction des usagers s’est-elle accentuée ? C’est bien que le véritable problème est ailleurs. Le réseau de banlieue et régional dans les grandes agglomérations est fragilisé par de multiples incidents qui n’ont rien à voir avec les grèves mais qui découlent directement ou indirectement de l’intensité du trafic et du déficit d’investissement. Sur 6 043 incidents en 2006 à la SNCF seuls 140 étaient dus à un conflit social. Il faut rejeter les idées simplistes.
Le rapport Mandelkern, chargé en 2004 de faire des propositions sur le service minimum a reconnu qu’un dispositif basé sur un service garanti dans une plage horaire déterminée serait soit inefficace soit manifestement contraire aux libertés. « Si, par exemple, la loi imposait que, en tout temps, les deux tiers du service normal soient garantis, et l’on sait que ce niveau est déjà très élevé au regard de la réduction du droit de grève qu’il entraîne, il faudrait se résoudre à décevoir lourdement les attentes de l’opinion : sur dix ans, au plan national, trois grèves ont réduit le service au-delà du tiers de façon durable. Symétriquement, l’idée de n’offrir, en région parisienne que les deux tiers du service serait très insuffisant au regard des besoins identifiables sur certaines lignes et créerait, elle aussi, beaucoup d’insatisfaction.» Rapport Mandelkern. Ce rapport proposait en son temps une des dispositions contenues dans le projet de loi actuel. Celle imposant aux salariés grévistes de se déclarer à leur direction quarante-huit heures avant le déclenchement de la grève. Cette disposition inscrite dans une loi qui s’appliquera indistinctement dans les entreprises de 160 000 salariés à moins de 50 salariés, en majorité sous statut privé constitue tout à la fois une atteinte au droit de grève et risque de ne pas aboutir à l’objectif recherché. A la RATP comme à la SNCF les prévisions de trafic sont faites par des agents responsables. Il y a peu d’erreur.
La loi risque d’arriver comme un éléphant dans un magasin de porcelaine et de créer des effets pervers. Car elle oublie que les partenaires sociaux ont engagé un travail non négligeable sur la réduction des conflits depuis plus de dix ans. Des négociations ont été engagées en 2004 dans le transport urbain ; elles ont été rompues par les employeurs de l’UTP qui préféraient une loi, car un accord suppose des concessions réciproques, des remises en cause des méthodes de direction et d’organisation de l’entreprise. Il contrarie les orientations même de l’entreprise particulièrement dans des secteurs dominés par les objectifs financiers. De plus, en voulant appliquer à toutes les entreprises de transport les accords conclus à la RATP et à la SNCF, la loi veut imposer un moule unique remettant en cause les finalités et équilibres qui prévalent lors de la négociation de chaque accord. Les accords responsabilisent les entreprises, pas le projet de loi. Quand un conflit dure plus d’une semaine, est-il plus utile d’ouvrir la possibilité à l’employeur d’organiser une consultation, remettant en cause la représentativité des organisations syndicales, pour faire pression contre les seuls grévistes comme le veut le projet de loi ou de mettre en place une médiation ? Faut-il oublier dans l’organisation des services en temps de grève par les salariés non grévistes que les métiers du transport obéissent à des protocoles de sécurité très strictes ? Faut-il vraiment faire croire, que les salariés du transport grévistes seraient payés dans les conflits ? C’est oublier les lois de 1963 et de 1982 qui encadrent strictement les conflits dans les services publics. Quel est le but de cet article sinon de vouloir dresser les salariés les uns contre les autres ? Faut-il méconnaître le besoin de sérénité relationnel dans l’entreprise entre cadres et exécutants au point de susciter le conflit entre ceux qui doivent se déclarer et ceux qui doivent ficher ? Les cadres ont aussi le droit de grève et besoin de conditions de travail dignes. Nous représentons les salariés du transport, nous sommes aussi des utilisateurs du transport public. Nous savons que les conditions d’un service de qualité pour les usagers qui utilisent tous les jours les transports en commun sont loin d’être remplies. Mais améliorer la qualité ne passe pas par la remise en cause du droit de grève. Il faut, au contraire, obtenir des pouvoirs publics les moyens nécessaires afin que s’améliorent, au quotidien, les conditions de transports des usagers et les conditions de travail des salariés du transport. 

La solution passe par le dialogue, la négociation et la prise en compte à la fois des demandes des salariés et des usagers, pas par l’affichage et l’opposition entre les salariés et les usagers.


PHILIPPE TESSON, journaliste. - LIBERATION : vendredi 20 juillet 2007
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