Les enseignants "Freinet" assurés de la relève, malgré "l'air du temps" politique

Publié le par webmaster

LE MONDE | 22.08.07 | 16h08  •  Mis à jour le 22.08.07 | 16h08

Même les syndicats ne peuvent en faire autant : des centaines d'enseignants, réunis pendant plusieurs jours, à leurs frais et pendant les vacances, pour réfléchir ensemble sur leur métier. Le 48e congrès du mouvement Freinet a réuni 650 participants à Paris, au FIAP Jean-Monnet, du vendredi 17 au lundi 20 août.

Cette participation, sensiblement supérieure à celle des congrès précédents, a réjoui des pédagogues qui se savent en décalage avec "l'air du temps" politique, comme l'a relevé à la tribune Muriel Quoniam, nouvelle présidente de l'ICEM (Institut coopératif de l'école moderne, nom officiel du mouvement). Et le renouvellement semble assuré, à en juger par la présence massive de jeunes enseignants, ou plutôt de jeunes enseignantes, puisque le mouvement est surtout implanté dans le primaire, très féminisé.

Djaouida Souidi est l'une d'elles. A 32 ans, elle vient d'accomplir sa première année en tant que professeure des écoles titulaire. Pour elle, le "coup de foudre" date de juin 2006 : encore stagiaire à l'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Créteil, elle accompagne alors en Ardèche une "classe verte" de l'école Marie-Curie de Bobigny (Seine-Saint-Denis), connue dans le mouvement Freinet. Jusque-là, elle ignorait jusqu'au nom du pédagogue Célestin Freinet, décédé en 1966. "J'avais déjà fait de l'animation pendant dix ans, mais j'ai été stupéfaite par la qualité des rapports des enfants entre eux et vis-à-vis des adultes", explique-t-elle.

Dès la rentrée suivante, son excellent classement au concours lui permet d'intégrer cette même école, qui concentre toutes les difficultés de l'enseignement public en banlieue. Elle y prend en charge un CP. "Je n'ai pas dormi pendant plusieurs mois, mais je m'en suis sortie grâce, justement, à la qualité des rapports avec les élèves et au soutien constant des collègues, se souvient-elle. Il me paraît désormais inconcevable d'enseigner dans un cadre ordinaire."

"RETROUVER UN PEU D'HUMANITÉ"

Annabelle Berger et Colombe Cipriani, respectivement deux ans et un an d'enseignement, ont toutes deux 33 ans et exercent dans le Val-de-Marne. Au congrès, elles participent à différents "ateliers", comme celui sur "l'éducation à la non-violence", dont Annabelle est ressortie convaincue que "les comportements, ça se travaille et ça se transforme".

Colombe a connu le pire du bizutage institutionnel qui frappe les débutants : avant de réussir le concours, elle a d'abord été recrutée sur "liste complémentaire" (ceux qui ont échoué de peu) et s'est vue aussitôt confier une CLIN (classe d'initiation, regroupant des élèves non francophones). "Retrouver un peu d'humanité" dans le système éducatif est sa première motivation.

L'une et l'autre écoutent avec attention les conseils prodigués par deux professionnelles aguerries venues de Gironde et âgées de 49 ans : Dominique Bellue et Catherine Foucher. La première exerce dans une école Freinet de la banlieue de Bordeaux, où elle est arrivée "par hasard" il y a quinze ans, la seconde dans une école de Libourne où, seule pédagogue "différente", elle s'entend néanmoins "très bien" avec ses collègues. Sortant de l'atelier "pratiques de l'écrit", elles déplorent que dans un cadre normal, on puisse "passer une scolarité entière sans écrire de textes" et que les élèves, pour peu qu'ils respectent les formes, n'y soient pas incités à faire "travailler leur intellect".

Généralement respectée (jusque dans les rangs de ceux qui défendent le primat de la "transmission" sur "l'éducation"), la pédagogie Freinet est difficile à résumer. Elle comporte certes des "techniques" : le "texte libre" (à tout moment, un élève qui le désire peut écrire), et le "quoi de neuf ?" (un rituel quotidien de prise de parole) sont parmi les plus connues. Mais elle forme un ensemble, fondé sur la coopération et l'autonomie maximale de l'élève. Catherine Foucher, qui n'a pas toujours été "Freinet" a sa définition : "Nos élèves savent à tout moment ce qu'ils font et pourquoi ils le font, ils sont capables de faire le lien avec ce qui a précédé et de percevoir à quoi cela servira plus tard."

Un des points forts du congrès a été la présentation par Yves Reuter, professeur à Lille-III, d'une étude menée avec son équipe pendant cinq ans sur une école Freinet de Mons-en-Baroeul (Nord) : bilan très positif, avec des élèves pourtant très défavorisés. Le chercheur relève cependant des obstacles au caractère "transférable" de cette pédagogie, reposant sur un investissement personnel hors du commun et qui devrait aussi, selon lui, être comparée "avec des modes de travail traditionnels, à condition qu'ils soient sérieux et respectueux des élèves".

Luc Cédelle

Article paru dans l'édition du 23.08.07.

 

 

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