Oxymore président

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L'entrée en campagne de Nicolas Sarkozy sous le signe de la « rupture tranquille » marque le retour d'une figure de rhétorique chère à la vie politique : l'oxymore, qui consiste à relier des mots contrastés ou contradictoires. Le clair-obscur du discours politique a ainsi ses classiques, à gauche comme à droite : du « vrai-faux passeport » de Charles Pasqua au « centralisme démocratique » cher au PC, en passant par le « changement dans la continuité » de Georges Pompidou ou le « carcan libéral » autrefois dénoncé par Lionel Jospin. Sans oublier naturellement la « force tranquille » de François Mitterrand avec en écho tant l'« ordre juste » de Ségolène Royal que la « rupture tranquille » du patron de l'UMP.

Le recours à l'oxymore n'est pas seulement esthétique. Il a ses facteurs objectifs qui découlent de la structuration de la politique française. A l'élection présidentielle, pour les candidats du second tour, il faut en effet pour gagner non seulement rassembler la plus large partie de son camp mais aussi attirer une fraction de l'électorat flottant fixé chez l'adversaire.

D'où la technique de la triangulation qui consiste, tout en restant campé sur les valeurs traditionnelles de son propre camp, à donner le sentiment à une partie de l'électorat adverse qu'on incarne mieux certaines valeurs auxquelles il est attaché. Tony Blair et Bill Clinton ont été les champions de cette technique. Ils ont littéralement asphyxié leurs concurrents en lançant une OPA sur une partie de leur fonds de commerce : les entrepreneurs et l'ordre pour Tony Blair, la croissance économique et la compétitivité pour Clinton.

C'est cette même logique de triangulation qui est à l'oeuvre en France. Ségolène Royal s'est montrée plus incisive sur sa capacité à réformer les 35 heures que la majorité de droite, réunie depuis le début de la législature dans une critique unanime mais purement gesticulatoire de la réduction du temps de travail, jamais suivie d'effet. En rendant un discret hommage à Tony Blair, elle n'a pas seulement occupé l'espace que lui abandonnaient ses rivaux du PS, elle a crédibilisé son discours économique aux yeux des entrepreneurs. Et en choisissant la bannière de l'ordre, fût-il juste (qui irait défendre un ordre injuste ?), illustrée par des prises de position strictes sur l'éducation, elle campe fermement sur le terrain de l'autorité cher à une partie de l'électorat de droite.

Nicolas Sarkozy se livre, de son côté, à un exercice symétrique. La tranquillité affichée de son concept de rupture ne consiste pas seulement à mélanger du valium à des vitamines. Elle a pour but de rassurer les classes moyennes qui pourraient trouver au mouvement plus de raisons de craindre que d'espérer. D'où son engagement à « faire baisser les prix » dans la distribution, variante inattendue de dirigisme dans un discours où le libéralisme a fondu au profit de la lutte contre la vie chère. On pourrait faire la même observation après ses hommages rendus aux fonctionnaires et ses efforts en direction des jeunes, pierres dans le jardin de la gauche.

Derrière la tactique de la triangulation, se profile une vraie réalité politique : celle que certaines mesures sont aujourd'hui incontournables pour les futurs dirigeants du pays. Ainsi notre recours massif à l'endettement, et la gestion des affaires par la dépense publique et les déficits, ne seront plus tenables dans une zone euro où même l'Allemagne a procédé aux ajustements nécessaires. Le report de l'âge légal de départ à la retraite, la fermeture des établissements de santé secondaires, la réforme de l'Etat, la fin de ses doublons avec les collectivités territoriales dégageront seuls les marges de manoeuvre pour financer l'enseignement supérieur et la recherche, préserver le contrat social entre générations et restaurer la compétitivité de notre territoire.

Aucune victoire ne peut donc être fondée sur des engagements incompatibles avec ces orientations. Cela ne signifie pas pour autant le retour de la pensée unique : il y aura, c'est certain, des différences de style, de méthode et pour finir de politique entre gauche et droite. Mais beaucoup de priorités seront partagées.

D'où la nécessité de ménager la chèvre et le chou, de mettre en mouvement tout en rassurant. Et si l'obscure clarté du politique consiste à savoir dire une chose et son contraire, et que l'alliance des mots préfigure celle des partis, souhaitons bonne chance à Oxymore, notre prochain(e) président(e).

les echos.fr [ 27/12/06 ]

par BERNARD SPITZ, président de BSConseil.

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